CFTC Paris | Améliorer le dialogue social : la convergence des buts
12012
post-template-default,single,single-post,postid-12012,single-format-standard,ajax_fade,page_not_loaded,,qode-theme-ver-10.0,wpb-js-composer js-comp-ver-4.12.1,vc_responsive

Améliorer le dialogue social : la convergence des buts

Améliorer le dialogue social : la convergence des buts

Dialogue social : Interview croisée de Joseph Thouvenel, secrétaire confédéral de la CFTC et d’Edward Hladky, chef d’entreprise et président des EDC (Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens ) Ile de France Ouest. Tous deux partagent leur convergence des buts. 

La pénurie des carburants, la demande d’augmentation des salaires en période d’inflation et l’exaspération dans les stations-services révèlent les tensions sociales alors que la France connaît ce mardi une grève générale. Comment rendre le dialogue social constructif et durable ? Interview croisée de Joseph Thouvenel, secrétaire confédéral de la CFTC et d’Edward Hladky, chef d’entreprise et président des EDC (Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens ) Ile de France Ouest. Tous deux partagent leur convergence des buts. 

Que pensez-vous du dialogue social en France ?  
Joseph Thouvenel 

En France, il n’y a pas un seul dialogue social, il y a plusieurs niveaux, notamment dans les entreprises. Dans les petites entreprises dont les PME, le dialogue n’est pas du tout le même que dans les très grandes entreprises. Pour une raison simple : les liens sont directs. Comme le dit le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises, “un patron de PME est à portée d’engueulade”. Cela ne veut pas dire que c’est parfait, mais que le dialogue social existe parce que les gens, qui travaillent dans la même entreprise, connaissent les différents métiers. Dans les très grandes entreprises, ce sont les fonds de pensions qui gèrent. Le dialogue social se passe beaucoup moins bien parce que c’est une production pour fabriquer un produit et rendre un service mais avec une gestion financière. 

Edward Hladky 

De manière générale, à la lumière de l’actualité, on peut dire qu’il n’est pas encore optimal. On est dans une période de blocage assez drastique de l’économie, avec notamment les mouvements chez Total et puis des grèves à venir ce mardi. Tout cela arrive dans un contexte très compliqué pour les entreprises dont beaucoup ont été fragilisées par le COVID. D’autre part, elles subissent l’accroissement du prix des énergies. Certaines d’entre-elles doivent rembourser leurs PGE (Prêt garanti par l’État) qui leur avaient été accordées, les cotisations de l’Urssaf qui avaient été reportées pendant la période du COVID. Ce qui est en train de se passer c’est la fraternité bafouée. La fraternité qui est une valeur chrétienne mais qui est aussi une des trois principales valeurs de la République. C’est un mouvement qui sert les intérêts de quelques-uns au détriment de tous les autres dans le pays. Nous avons entendu beaucoup de témoignages ces derniers temps, d’infirmières, de médecins qui ne peuvent pas aller soigner les gens, de tout le réseau logistique qui souffre énormément. Et puis même toute entreprise a des problèmes de livraison à l’heure actuelle. Moi-même, je suis dans une entreprise qui travaille en flux tendu, avec les problèmes actuels, on ne reçoit pas les matériaux et on ne peut pas livrer les clients. 

Pourquoi a-t-on l’impression que la grève est le seul moyen de négociation ? 

Edward Hladky 

Certains syndicats, ce n’est pas le cas de la majorité des représentants du personnel, sont sur des positions idéologiques. Ils ont effectivement une mauvaise image du système dans laquelle on vit ou du patron de manière générale. On a affaire quelquefois à des syndicats qui ne veulent pas prendre leur responsabilité. En ce qui concerne Total ou Esso, on a quand même eu des accords qui ont été signés par les syndicats majoritaires. Ce n’est pas tant le problème du dialogue social et des syndicats mais plutôt de faire respecter les règlements et les lois. Ce qui est aussi gênant pour les entreprises, c’est que de toute cette bataille vont sortir probablement des accords. Ils ont déjà été signés et probablement, on l’espère, il y en aura d’autres. Mais le problème c’est que la plupart des entreprises ne pourront pas s’aligner sur les conditions négociées par ces grands groupes. Il faut vraiment que les gens en soient conscients. La plupart des entreprises avaient déjà entamé des négociations pendant l’été. Elles ont anticipé ce qu’on appelle les NAO (négociations annuelles obligatoires) parce que compte tenu du contexte de l’inflation, de la souffrance des employés d’une certaine manière, avec toutes ces augmentations des prix. Là où vous allez avoir des grèves qui amènent à des accords que la plupart des entreprises ne peuvent pas se payer. C’est un réel problème. 

Joseph Thouvenel 

Ce n’est pas le seul moyen de négociation. J’ai 40 ans de syndicalisme derrière moi, j’ai beaucoup négocié avec des bonnes négociations. Mais les bonnes négociations, celles qui ont lieu tous les jours dans les entreprises, dans les branches professionnelles, on n’en parle jamais. Ce dont on parle, c’est quand ça dysfonctionne, que ça ne marche pas. C’est quand il y a la grève, des manifestations, mais c’est ultra minoritaire. Sauf que, très souvent, même si en nombre c’est ultra minoritaire, ça touche des secteurs stratégiques de la société, comme les transports par exemple qui sont très sensibles parce que ça bloque des millions de français. Mais le dialogue social dans les entreprises en France ne se passe pas si mal que ça, loin de là. Mais ce que l’on voit, c’est vraiment le dysfonctionnement parce que personne ne fait un papier pour le dire. 

Comment expliquez-vous que la grève ait autant de poids dans un pays comme la France où seulement moins de 10% des salariés sont syndiqués ?   

Joseph Thouvenel 

Il n’y a même pas 10% des salariés qui sont syndiqués alors que 98% des salariés bénéficient d’accords collectifs. C’est à dire que quasiment tous les salariés en France bénéficient d’accords négociés par les organisations syndicales, donc pas du code du travail, mais d’accords supérieurs au code du travail. Ça veut dire qu’en France, les salariés utilisent les organisations syndicales pour leur obtenir des choses et pour les protéger mais n’y adhèrent pas. La force des organisations syndicales est bien supérieure au nombre d’adhérents et de cotisants.  

Quelles seraient pour vous les conditions pour un dialogue social apaisé et de manière durable ? 

Edward Hladky

J’ai moi-même une entreprise de 700 personnes, une ETI (Entreprise de taille intermédiaire), et dans ces petites entreprises on a un dialogue généralement riche et constructif avec la plupart des membres du CSE (Conseil social économique) mais aussi avec la plupart des syndicats. La deuxième chose, c’est que on a depuis quelques années un dialogue social qui s’est un peu simplifié. Aujourd’hui, on a un seul organisme et c’est bien mieux. Ce qui manque dans le dialogue social, ce sont les principes issus de la pensée sociale de l’Eglise. Il faut parler de la dignité de l’homme dans la pensée sociale chrétienne. Veillez à ce qu’elle soit bien respectée à tous les échelons dans l’entreprise. À titre personnel, je passais pas mal de temps à discuter des conditions de sécurité pour les employés dans mon entreprise. Le deuxième principe c’est la subsidiarité, c’est à dire donner le maximum de responsabilités au plus petit échelon dans l’entreprise. Nos entreprises sont souvent marquées par des organisations pyramidales, que les anglo-saxons appellent le “chain of Command”. Le troisième principe c’est la destination universelle des biens, c’est à dire que tout nous a été donné et l’on doit se répartir ces biens. Je pense que les patrons ont des efforts à faire afin de mieux repartir la valeur ajoutée. Enfin il y a aussi la participation, qui est issue encore une fois de la pensée sociale chrétienne. Les partenaires sociaux doivent avoir enfin leur mot à dire. Voilà un autre principe de base de dialogue qui permettrait d’éviter à arriver à des situations tendues. 

Joseph Thouvenel 

Quand le patronat comprendra que les salariés ne sont ni des ennemis ni des adversaires, mais que l’on avance mieux ensemble, que le patronat français acceptera de faire venir dans les lieux de réflexion pour l’avenir des entreprises, les représentants des salariés, sans doute que ça ira mieux pour le dialogue social. Mais quand on a une société qui ne reconnaît plus ces valeurs-là, quand on est une société qui s’enferme dans le matérialisme et dans l’égoïsme, alors évidemment, les mouvements égoïstes ressortent et c’est un affrontement quasi permanent pour son petit intérêt. Et ça touche des organisations syndicales, mais ça touche aussi des organisations patronales. C’est cet état d’esprit qu’il faut changer. Si on ne change pas cet état d’esprit, on arrivera toujours à cette espèce d’exercice malsain qui décide d’arriver à la loi du plus fort, et la loi du plus fort, c’est rarement la loi du meilleur. Le dialogue social, c’est quoi ? C’est la volonté de pouvoir discuter pour approcher le bien commun. En tout cas, c’est ce que prône la CFTC. Pour d’autres, le dialogue social n’existe que comme un rapport de force et je dois être toujours plus fort que l’autre que je considère comme un adversaire, c’est cela qu’il faut changer. L’autre n’est pas un adversaire, l’autre est un partenaire, l’autre est quelqu’un avec qui je dois avancer. C’est vraiment tout un changement quasi philosophique. D’où l’importance de développer la doctrine sociale en mettant l’humain au cœur de notre occupation et en affirmant que le capital et le social ne sont pas en opposition. Le capital, c’est une ressource. La question est comment j’utilise cette ressource quand je la possède, est-ce que c’est pour le bien commun où est-ce que je l’utilise tout à fait égoïstement et de façon destructrice pour la société ? C’est tout cela qu’il faut changer, donc on a du travail et c’est même assez enthousiasmant de se dire chacun, on peut essayer de changer les choses. Il y a un vrai boulevard à prendre, en tout cas pour les chrétiens qui sont dans les entreprises.